J’ai longuement caressé la carte du monde. Chaque plaine, chaque colline, chaque ville, chaque village, pour donner du courage à la bête. On a chargé la charrette et tout le monde est monté.
La vache a essayé de courir, on lui a dit :
– Allez, accélère, Poulette !
Et elle a accéléré… la charrette a fait des bonds, puis la vache a posé son sabot sur la pomme de pin dorée et lumineuse.
À cet instant, juste à la sortie de la forêt-de-tous-les-possibles, Poulette est devenue le plus beau des rennes ! Et un renne, ça va si vite que, soudain, on a décollé dans l’immensité du ciel étoilé.
Sous notre attelage, la forêt-de-tous-les-possibles, et même des plus beaux impossibles ! J’ai pointé du doigt notre maisonnette bleue qui diminuait en taille et les étoiles se sont changées en flocons.
Je sentais que j’étais couvert de plumes, que nous avions des ailes, alors j’ai commencé à lancer des bonshommes en pain d’épice au-dessus des jardins : des jardinets les plus pauvres dans les campagnes, des jardins ouvriers près des cités.
On est aussi passés au-dessus de grandes villes, près de ponts où s’entassent ceux qui n’ont pas de toit. Papy Lorenzo a dit :
– Même dans les taillis et les fossés, la pauvreté se cache partout…
Il a plu des bonshommes en pain d’épice toute la nuit ! L’air sentait les plantes du monde que mon grand-père ajoute à sa pâte subtilement épicée. Nos paniers se vidaient lentement et, au dernier bonhomme que nous avons offert au vent, j’ai crié :
– Monsieur le renne, peut-on aussi passer au-dessus de la mer
Méditerranée, s’il vous plaît ?
Tout le monde s’est regardé, mais personne n’a demandé pourquoi. Et nous avons aussitôt volé en direction du Sud, longtemps, très longtemps.
Maman a compris, et j’ai compris qu’elle était fière de son fiston.
Puis, au-dessus d’une mer très sombre, nous avons lancé nos bonshommes en bois, tous ensemble. Peut-être qu’ils flotteront toute la nuit, et demain encore,
et la semaine suivante, qui sait ? Peut-être même que, dans l’eau, ils grandiront pour devenir de vastes îles de Noël où il fera bon se réfugier…
Parce que nos bonshommes sont peu ordinaires. Ils sont en bois tendre de la forêt-de-tous-les-possibles !
Très solides et très solidaires.
Conte inédit écrit par Alain Serres et illustré par Zaü pour Vie nouvelle 208
La vie de Madeleine Riffaud est un hommage à la résistance sous toutes ses formes et en toutes circonstances. Le 2ème tome de ses mémoires en images est paru ! Editions Dupuis