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Bernard Thibault : « ne laissons pas les affaires du monde aux mains du monde des affaires »

Le gouvernement Macron s'apprète à porter un nouveau coup aux droits des salariés. Souvent durement acquis, ils conditionnent l’avenir même de notre démocratie. Peut-on gagner cette guerre sociale ? Bernard Thibault, membre du Conseil d’administration de l’organisation internationale du travail (OIT), répond à nos questions.

Pendant plusieurs décennies, le progrès social s’illustrait par une avancée des droits et des conditions de vie des salariés et des retraités. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Pourquoi ?

Nous n’avons jamais engendré autant de richesses et de biens matériels qu’aujourd’hui. Pourtant, la situation de ceux qui les produisent et de leurs familles se dégrade. Si pendant plusieurs décennies le progrès social était synonyme d’amélioration des droits, des libertés et des conditions de vie, ce n’est plus le cas actuellement. Les luttes syndicales et les débats politiques ne produisent plus les effets d’entraînement d’hier.

Dans une économie globalisée, la situation générale des travailleurs se détériore, à tel point que les droits sociaux des pays les plus avancés, qui devraient servir de points de repère pour les autres, sont fréquemment présentés comme des privilèges d’un autre temps.

Après la chute du mur de Berlin, les prophètes de la fin de l’histoire promettaient la naissance d’un monde pacifié par le « doux commerce » et l’extension de la démocratie. Un quart de siècle plus tard, si l’extrême pauvreté a reculé, la situation sociale du monde s’est dégradée.

Le directoire des dix-neuf nations qui, avec l’Union européenne au sein du G20, assure la « gouvernance » de la planète, continue de croire que le marché pourvoira par effet de ruissellement aux besoins sociaux. Mais c’est l’inverse qui se produit. Ce sont les humains qui sont priés de s’adapter aux contraintes de l’économie de guerre forgée par la globalisation. Les pays du G20, dont la France fait partie, regroupent les deux tiers de la population mondiale, 85% du commerce et concentrent 90% du produit brut mondial.

C’est dire que leur comportement donne le « la » à l’ensemble de la planète. Ces pays ont progressivement ignoré la déclaration des États réunis en 1944 à Philadelphie qui tirait les enseignements de la seconde guerre mondiale : « les aspects humains et sociaux l’emportent sur les considérations économiques et financières. La pauvreté, où qu’elle existe, représente une menace pour la prospérité de tous ». Ils ont préféré un affaiblissement des institutions issues de cette ambition politique d’après-guerre (ONU, OMS, OIT) et ont fait le choix du renforcement des structures chargées de libéraliser les échanges (OMC, FMI, Banque mondiale).

Ainsi, dopée par les nouvelles technologies, la financiarisation de l’économie s’amplifie comme jamais. La recherche de rentabilité à court terme se généralise à toute l’économie en ignorant les conséquences sur les travailleurs et sur l’avenir de la planète. On ne peut plus laisser les affaires du monde aux mains du seul monde des affaires.

La troisième guerre mondiale est sociale est un titre fort. Qui se bat contre qui ?

S’il y a bien une guerre à dénoncer aujourd’hui c’est la « guerre sociale », elle-même conséquence de la « guerre économique », de la « guerre technologique », de la « guerre commerciale », de la « guerre du pillage des matières premières »…

Le langage des entreprises, comme d’ailleurs celui de bien des États, est en permanence guerrier. Tous s’efforcent de désigner de faux ennemis pour mieux entretenir un système économique qui profite seulement à quelques-uns. Ainsi, toutes les discriminations favorables à la division des travailleurs sont savamment entretenues : les jeunes contre les plus âgés, les nationaux contre les immigrés, ceux du privé contre ceux du public, les intellos contre les manuels, ceux des pays pauvres contre ceux des pays développés.

L’apothéose revenant actuellement à la prétendue guerre des religions qui, d’une part, sert de support à des groupes d’assassins et, de l’autre, à des partis nationalistes et racistes, à l’image du FN en France. Le vrai clivage est entre ceux qui défendent mordicus un système économique dont tout démontre qu’il n’est pas viable à terme et ceux qui recherchent et revendiquent des alternatives.

La question du progrès social se pose partout dans le monde. Certes pas de la même manière, mais la réponse est-elle la même ?

Lorsqu’un travailleur sur deux dans le monde n’a pas de contrat de travail, que plus de 70% de la population ne bénéficient pas de système de protection sociale (près d’un salarié sur deux n’a pas de système de retraite), la question est de savoir quel modèle social prévaudra demain. Celui de la régulation par le droit social ? Ou celui de loi de la jungle dans laquelle les travailleurs et les retraités seront du « gibier », pendant que les actionnaires et les propriétaires continueront d’engranger d’énormes dividendes ?

L’OIT milite pour le travail décent. C’est-à-dire un travail qui procure des ressources permettant de vivre et faire vivre sa famille correctement, une protection sociale pour tous, la reconnaissance des libertés fondamentales de s’organiser en syndicat et de négocier collectivement des améliorations de son quotidien. C’est aussi l’éradication du travail des enfants et de l’esclavage qui procurent chaque années 150 milliards de profit illégaux.

Ce n’est tout de même pas la mer à boire. Pourtant, sans rapport de force et sans mobilisations, on n’y arrivera pas.

Quels sont les atouts des travailleurs et de leurs syndicats pour retrouver le chemin du progrès social ?

Contrairement à certaines fables, il n’y aura pas de progrès social chez nous si, partout ailleurs, c’est la précarité qui domine. Nous avons comme atouts notre histoire et nos expériences politiques et syndicales. Nous avons un patrimoine de droits sociaux issus des luttes qui servent encore de repères au plan international.

Il revient aux militants d’aujourd’hui d’affiner la stratégie et les objectifs. En œuvrant à l’unité des travailleurs en France ainsi qu’au plan international, nous pouvons créer les conditions des bouleversements nécessaires. Pour cela, il faut se convaincre qu’aucune histoire n’est écrite d’avance.

Je me souviens qu’à l’hiver 95 s’est développée l’une des plus fortes mobilisations sociales de ces dernières décennies en France. C’était pourtant quelques mois après une élection présidentielle...

Propos recueillis par Michel Scheidt


La troisième guerre mondiale est sociale, Bernard Thibault, 2016, éditions de l’Atelier, 15 €.

 

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