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Serge Paugam « Un lien social à réinventer. »

Si la crise sanitaire s’accompagne d’une violente crise économique et sociale, elle risque aussi de faire voler en éclats la cohésion et le lien social. Une part essentielle de ce qui fonde notre socle républicain. Entretien avec Serge Paugam, sociologue, directeur de recherche au CNRS et directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales de Paris.

Le moins que l’on puisse dire, c’est que notre société est actuellement malmenée. Quel regard portez-vous sur la situation ?

La société était déjà malmenée bien avant la pandémie. Depuis les années 1980 et les grands plans de restructuration de notre industrie, nous sommes dans une crise de ce que nous appelons la « société salariale ». Avec une augmentation du chômage qui touche plus de 10% de la population, de nombreuses personnes actives dans des emplois précaires ou en CDI qui vivent dans l’angoisse de le perdre, la crise est sévère. Dans une société issue des 30 glorieuses et des conquêtes sociales, l’emploi est un facteur de stabilité et permet la cohésion sociale. C’est cette crise du « modèle salarial » qui, aujourd’hui, laisse de côté des millions de personnes : des « inutiles au monde », des « surnuméraires » ne pouvant plus accéder à une place dans ce système social.

La pandémie a-t-elle accéléré ce processus ?

Oui, tout à fait. La pandémie a accru fortement les inégalités. Elle a surtout révélé la fragilité de ce modèle social en pleine dérégulation. La paralysie du système dans sa globalité se traduit par une montée inquiétante de la pauvreté et de l’isolement social. Ce qui génère une profonde crise du lien social dont les signes sont de plus en plus visibles. Si cette situation devait perdurer plusieurs mois encore, nous irions, alors, vers une irrémédiable fracturation de notre société.

Justement, dans votre ouvrage Le lien social, vous évoquez la nécessité de retisser le lien social ? De quoi s’agit-il ?

Pour parler du lien social, j’ai recours au concept d’attachement social. En effet, tout individu est attaché aux autres par plusieurs types de liens qui se constituent au cours du processus de socialisation et s’entrecroisent en lui. Sociologiquement, il est important de parler de la diversité des liens qui attachent les individus les uns aux autres et à la société pour en faire des êtres sociaux. C’est la raison pour laquelle je distingue quatre types de liens : le lien de filiation que l’on entretient avec ses parents, ses enfants et ses petits-enfants, le lien de participation élective qui s’établit lors de nos échanges sociaux, par exemple dans le mouvement associatif, avec des personnes que l’on estime proches, le lien de participation organique qui nous renvoie au monde du travail et à ses solidarités au sein de groupes professionnels organisés et, enfin, le lien de citoyenneté qui renvoie au lien entre citoyens supposés être égaux à l’intérieur et au sein d’un espace national. Ces deux derniers, si importants pour la régulation de notre système social, sont fragilisés et gravement menacés.

De quelle manière ?

Notre société se défait peu à peu. L’effondrement de multiples collectifs, la difficulté de groupes professionnels à maintenir une vie collective organisée, à défendre des droits sociaux et une protection sociale qui s’effritent peu à peu, sont parmi les effets les plus marquants de cette fragilisation. Mais pas seulement. Le lien de citoyenneté, qui suppose l’égalité des citoyens en droits, est souvent remis en question. De nombreuses personnes font, en effet, l’expérience de la discrimination. Selon le genre, l’origine ethnique ou religieuse, l’âge… ces discriminations sont souvent liées au simple fait d’être en situation de pauvreté et donc, d’être privé d’une place et d’une reconnaissance dans la société. Je note, d’une part, qu’elles sont en augmentation et, d’autre part, qu’elles touchent des franges de plus en plus nombreuses de la population. La classe ouvrière et les couches populaires les moins favorisée, les plus pauvres cumulent toutes les formes de fragilités et donc de ruptures.

En 2017, dans Vivre ensemble dans un monde incertain, vous écriviez que la fragilisation des différents types de liens qui rattachent les individus à la société est à l'origine de profondes inégalités. Sans doute existe-t-il d’autres raisons ?

En prenant la question des liens sociaux comme je viens de le faire, on pose autrement la question sociale. Mais effectivement, la fragilisation des liens n’est pas la seule raison des inégalités. Elles sont, bien entendu, d’ordre économique et relèvent d’une injuste répartition des richesses. S’il faut, bien sûr, poser aussi ces questions, elles ne suffisent pas à déterminer la place que les individus ont à occuper dans une société qui, certes, les protège, mais surtout qui les reconnaît pour ce qu’ils sont. Je pense que les personnes exclues préfèrent compter pour la société que compter sur la société. C’est d’ailleurs, pour une large part, ce qu’a exprimé le mouvement des gilets jaunes. Un cri de révolte de personnes qui, pour de multiples raisons, ne trouvent pas leur place dans la société actuelle.

La reconnaissance sociale plutôt que la protection sociale ?

Non évidemment. Protection (compter sur) et reconnaissance (compter pour) sont complémentaires et fondent chaque type de liens sociaux. Une société qui n’intègre plus comporte le risque majeur de laisser de plus en plus de monde à l’écart et de se fracturer. Autant d’individus qui se sentent socialement disqualifiés et inutiles perdent à la fois la protection et la reconnaissance.

La crise sanitaire a été un prétexte de plus pour stigmatiser les retraités et les personnes âgées. Les vieux sont devenus une cible. Sont-ils discriminés d’abord pour ce qu’ils sont ?

Il existe, certes, une tendance forte à considérer qu’ils ont vécu et qu’ils doivent céder leur place aux plus jeunes. Je ne partage évidemment pas cette vision des choses. Je crois plutôt que la discrimination dont sont victimes les « vieux » tient au fait qu’on les considère comme en dehors de l’espace social productif, de la société salariale dont j’ai parlé. Dans leur globalité, les vieux vivent mal cette mise à l’écart et cette absence de reconnaissance de leur juste place dans la société.

Quel est le rôle des politiques publiques dans la cohésion sociale ?

Les politiques publiques néo-libérales s’appuient d’abord sur l’initiative individuelle. Elles sapent de plus en plus notre modèle social par la casse des services publics et de la protection sociale. Des déclins successifs qui font que notre modèle social n’intègre plus autant et qui expliquent en grande partie, pour des populations de plus en plus nombreuses, la fragilité et la rupture des liens sociaux. Au lieu de les déliter, il faudrait plutôt consolider les politiques publiques en les réorientant vers plus de redistribution. Mais ça ne suffira pas. Les attentes sociales sont aussi des attentes de reconnaissance.

 Entretien réalisé par Michel Scheidt

 

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